Décision n° 2024 – 1091/1092/1093 QPC du 28 mai 2024
L’aide juridictionnelle peut être définie comme une aide financière que l’État apporte à toute personne dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir ses droits en justice. Plus précisément, cette aide financière est accordée, sous condition de ressources, à des personnes dont les ressources sont insuffisantes afin de les aider à faire face aux frais occasionnés pas une action en justice. Concrètement, elle couvre les frais de justice tels que les honoraires d’avocat, d’huissier, d’expert, etc.
S’agissant des personnes physiques, l’article 2 de la Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique dispose que les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d’une aide juridictionnelle totale ou partielle. Plus précisément, peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle, les personnes de nationalité française et les ressortissants de l’Union européenne.
Dans sa rédaction issue de la loi du 7 mars 2016, l’article 3 de cette loi accorde le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux personnes de nationalité étrangère en situation régulière, avec des dérogations pour des étrangers en situation irrégulière (les mineurs, les mis en cause ou les parties civiles dans le cadre d’une procédure pénale, les personnes bénéficiaires d’une Ordonnance de protection, les personnes faisant l’objet d’une mesure prévue par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et, à titre exceptionnel, les personnes dont la situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès. Appréciée par certains, critiquée par d’autres, cette disposition invite à une interrogation : la régularité de séjour est-elle nécessaire au bénéfice de l’aide juridictionnelle ?
À la lecture du texte, il y a un principe et des exceptions. Le principe étant la régularité de séjour, une réponse affirmative à cette question n’est pas contestable, étant d’ailleurs précisé que les exceptions ne couvrent que quelques procédures spécifiques. De ce point de vue, il y a d’une part, une rupture d’égalité entre personnes de nationalité étrangère et d’autre part, une rupture d’égalité entre étrangers en situation irrégulière. On peut alors affirmer que le principe d’égalité devant la justice est rompue et l’intervention du Conseil constitutionnel peut être sollicitée.
Ainsi, le 1er mars 2024, la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), visant à déterminer si l’article 3 de la Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifié par la Loi n°2016-274 du 16 mars 2016, est conforme à la Constitution.
À l’origine de ces différentes QPC, il était soutenu que les dispositions de l’aide juridictionnelle méconnaissent le principe d’égalité devant la justice dès lors qu’elles ne permettent pas aux étrangers en situation irrégulière des situations égales à celles dont bénéficient tout justiciable pour agir en justice, alors que la loi leur reconnait des droits, en particulier lorsqu’ils sont salariés. Il est vrai en droit social, le cas des salariés en situation irrégulière est un exemple probant. En effet, un salarié étranger en situation irrégulière qui saisit le Conseil des Prud’hommes contre son employeur qui l’a embauché et employé illégalement ne bénéficiera pas de l’aide juridictionnelle. Le Conseil constitutionnel était donc invité à rétablir l’égalité pour tous devant la justice.
Par une décision en date du 28 main 2024, le Conseil constitutionnel a joint les trois QPC et a censuré les dispositions contestées du dispositif du bénéfice de l’aide juridictionnelle. Dans leur décision, les Sages ont d’abord rappelé deux textes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789. Le premier, l’article 6 de la DDHC dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Aux termes du second, l’article 16 de la DDHC, « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». Interprétant ces dispositions, les Sages ont relevé que si le législateur peut prévoir des règles différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du droit d’agir en justice et des droits de la défense. Reconnaissant ensuite, qu’en disposant que, sauf dans certains cas, des étrangers en situation irrégulière ne peuvent avoir droit à l’aide juridictionnelle, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement entre les étrangers, selon qu’ils sont en situation régulière ou pas, les sages ont jugé que le législateur ne peut prendre des dispositions spécifiques à l’égard des étrangers qu’à la condition de respecter les droits et libertés garanties à tous par la Constitution sur le territoire de la République. Enfin, le Conseil constitutionnel a conclu que les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant la justice et sont donc contraires à la Constitution. Cette décision est d’application immédiate.
Certes, le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour tous est désormais acté, mais la véritable question concernant l’aide juridictionnelle est ailleurs : l’acceptation de l’aide juridictionnelle par les auxiliaires de justice. Entre la paperasse à fournir par ces derniers aux fins de paiement, des retards occasionnés par des formalités administratives toujours plus incessants, les retards de paiement et la modique somme versée par l’État, peu sont les auxiliaires de justice qui acceptent désormais être rémunérés à l’aide juridictionnelle. L’Etat doit se préoccuper de l’accès à la justice pour des personnes à faibles revenus par une meilleure amélioration du système.
Par Bernardo-Casmiro do RÉGO